Johan De Smet - Docteur en histoire de l'art et Conservateur au Musée des Beaux Arts de Gand -
«Un luministe délicat, habile à prismatiser les toits rouges et les pignons blancs des hameaux de la Flandre.»(1) C'est ainsi que Camille Lemonnier résume, dans L'Ecole belge de peinture 1830-1905, la recherche artistique d'Emmanuel Viérin au début du xxè siècle. Pareilles descriptions, bienveillantes mais réductrices, allaient poursuivre Viérin, et leur reprise d'un auteur à l'autre allait plus d'une fois entraîner des erreurs. Le caractère peu approfondi de ces études apparaît aussi dans la rapide présentation de l'artiste dans un ouvrage de référence de Paul Colin, La peinture belge depuis 1830: Viérin y est présenté principalement comme l'auteur de vues urbaines de Bruges.(2) Viérin peignait essentiellement une réalité apaisée, dépourvue de tout signe d'activité humaine. Après des débuts réalistes, il évolua au milieu des années 1890 vers le luminisme, tendance qui, au moment où Emile Claus (1849-1924) ralliait tous les suffrages, séduisit un grand nombre de jeunes artistes. Au départ, le terme luminisme fut utilisé pour définir tout art influencé par l'impressionnisme français et combinant une écriture libre et fragmentée avec une palette lumineuse. L'une des grandes différences avec l'art français résidait dans la fidélité des luministes aux fondements réalistes de la représentation. Un luminisme analogue, en tant que variante de l'impressionnisme français, existe à la même époque en Allemagne et aux Pays-Bas. Il est cependant difficile de comparer l'art de Viérin au luminisme extraverti de Claus et de le situer par rapport aux autres artistes impressionnistes de la Lys. Même si le peintre comptait parmi ses amis différents représentants de ce luminisme insouciant et s'il exposa avec eux, il cherchait en effet une autre voie. A leur peinture lumineuse et enthousiaste, il opposait une vision réfléchie, étroitement apparentée à l'intimisme contemporain d'Albert Baertsoen (1866-1922), par exemple, mais aussi de Georges Buysse (1864-1916), Orner Coppens (1864-1926) et Théodore Verstraete (1850-1907). Leur prédilection pour les paysages et les vues de ville mélancoliques, élaborés dans un coloris assourdi, ne fait pas d'eux de véritables impressionnistes. Leurs scènes sont plus sereines, plus intimes également. Ces peintres étaient les protagonistes d'un intimisme en quête de l'essence des choses. Débarrassant la réalité de son vernis, ils creusaient plus loin que la lumière superficielle qui donne leur couleur aux objets. Leur monde était contemplatif, mélancolique, réservé. On ne sera donc pas étonné de voir Viérin se joindre au cercle bruxellois Pour l'Art qui, après 1900, se fit le défenseur d'une nouvelle génération de symbolistes.
L'œuvre de l'artiste ne présente pas une très grande diversité thématique. Mais il serait injuste de ne considérer Emmanuel Viérin que comme le chantre des béguinages flamands.' Ce thème apparaît rarement dans son œuvre avant 1895. Il ressort d'une analyse de la totalité de sa production qu'il fut surtout actif comme paysagiste et se révéla en ce domaine un observateur expérimenté. La campagne des environs de Courtrai l'attirait, comme en témoignent les innombrables vues qu'il peignit au début de sa carrière autour du village de Heule. Mais son maître anversois Joseph Coosemans (1828-1904) l'entraîna plus loin, jusqu'aux environs de Bruxelles et vers la Campine. L'influence de Coosemans est manifeste dans les premiers paysages limbourgeois, qui allient sûreté de l'observateur et habileté technique. Embrassant la tradition de la peinture de plein air, Viérin ne pèche par aucun conformisme académique.
Marine ensoleillée - Domburg 1917
Viérin nourrissait aussi une passion pour la côte belge. Les marines, les vues de plages et de dunes représentent une grande partie de son œuvre. Dès le milieu des années 1890 il eut un pied-à-terre à la côte, à La Panne d'abord, puis à Duinbergen où - avec l'aide de son frère, l'architecte Joseph Viérin (1872-1949) - il construisit également quelques résidences d'été.(3) L'empathie de Viérin avec la nature se manifeste aussi dans les vues du littoral qu'il réalisa pendant la Première Guerre mondiale dans l'île de Walcheren et aux environs. Le paysage continua à l'attirer par la suite, mais il cessa en revanche de se concentrer sur les marines.
Après la Première Guerre mondiale, Viérin n'opta pas pour l'expressionnisme flamand, qui régna en maître en Belgique jusqu'en 1930. Ce choix fit de lui un artiste quelque peu isolé sur la scène artistique. Limité au rayon d'action réduit des Salons officiels, il n'eut plus accès au circuit principal, qui ne soutenait que les novateurs. L'avant-garde historique, qui détermina la physionomie du milieu artistique, en tout cas dans les années 1920, ne s'intéressait pas à un paysagiste resté fidèle aux prémisses d'un idiome d'avant-guerre.
A ses débuts, Emmanuel Viérin adopta donc la perception du paysage qui était celle de son maître anversois Joseph Coosemans. Ce dernier, qui enseignait la peinture de paysage à l'Académie royale des Beaux-Arts d'Anvers depuis novembre 1886, était alors un peintre renommé. Avec Hippolyte Boulenger (1837-1874), il était considéré comme le fondateur de l'école de Tervueren. Dans les années 1880, nombre d'artistes suivirent les traces de ces paysagistes et prirent le chemin d'une nature encore préservée.(4) Coosemans ne familiarisa pas seulement ses élèves avec le milieu forestier de Tervueren et avec la forêt de Soignes, mais il leur fit découvrir les environs de Genk, Bokrijk et Winterslag, où il séjournait quelques mois par an depuis 1876. Cette initiation ne fut pas sans conséquences pour Viérin. Avec des confrères tels que Paul Verdussen (1868-1945), il alla régulièrement peindre en Campine.
Par la suite, le professeur resta en contact avec son disciple. En mai 1895, alors que la formation de Viérin était achevée et que sa carrière commençait à prendre forme, Coosemans s'enquérait de la santé de son élève: «J'espère que vous n'êtes pas souffrant. Avez-vous rapporté une bonne récolte de votre excursion en Algérie? Enfin, je serais désireux de vous voir, [et] de même vos études.»(5) La critique contemporaine rattacha elle aussi les premières œuvres de Viérin à la tradition de la peinture belge de plein air. Le débutant ne possédait cependant pas encore la pleine maîtrise de ses prédécesseurs. A l'occasion du Salon de Courtrai de 1891, où il n'exposa pas moins de sept œuvres, la revue La Fédération artistique releva certes des qualités mais également un manque de régularité: «paysages d'inégale valeur. Tous dénotent déjà beaucoup de talent, il lui reste à acquérir la personnalité.»(6) La revue continua à suivre l'artiste pendant les premières années de son parcours artistique. Dès 1891, le critique Edmond-Louis de Taeye décelait dans les paysages de Viérin une facture solide et un don certain d'observation. L'année suivante, La Fédération artistique qualifiait une nouvelle fois l'artiste de «fervent du morceau bien peint».(7)
Viérin ne prit pas seulement exemple sur Coosemans. Chez le paysagiste Jules Montigny (1840-1899), qui était également actif à Tervueren, il découvrit le paysage ouvert, exécuté dans une facture épaisse et en des tons vifs. Il s'inspira aussi, par ailleurs, de l'œuvre d'Edmond de Schampheleer (1824-1899), chez qui l'influence de l'école de Barbizon allait de pair avec une vision basée sur la peinture de paysage hollandaise du xviiè siècle. Il faut aussi remarquer qu'en 1889, lors de sa première exposition connue, Viérin exposa Bouleaux dans le bois d'Astene, tableau peint à proximité de la villa «Zonneschijn» de Claus, ce qui n'était sans doute pas fortuit.
Au début de sa carrière, Viérin opta donc pour une tradition picturale du paysage qui était unanimement acceptée à la fin des années 1880. L'artiste n'appartenait aucunement aux novateurs qui, évitant les Salons, se réunissaient dans des cercles avant-gardistes tels que Les Vingt. Il ne suivit ni la voie du tachisme de James Ensor (1860-1949) qui prévalut dans ce cercle jusqu'en 18 85, ni celle de l'impressionnisme et du néo-impressionnisme français qui dominèrent la seconde moitié de cette décennie. Il se tourna plutôt vers la génération antérieure à celle des Quatrevingtistes. De par sa formation, il était naturellement conditionné par la riche expérience paysagiste de Coosemans qui, à partir du réalisme des écoles de Barbizon et de Tervueren, offrait des bases artistiques pour l'avenir. C'est d'ailleurs peut-être sur les conseils de son maître que Viérin partit à la découverte de «leur» paysage, comme en témoignent les vues de bois et d'étangs que le jeune artiste peignit à Tervueren aux environs de 1894.
Etang (ca. 1890)
Si, vers 1890, Viérin était surtout sous le charme du paysage désolé et marécageux de la Campine, sa fascination pour la côte belge remonte à peu près à la même époque. Il resta tout au long de sa vie un «homme de la mer», comme son ami Stijn Streuvels l'appellerait par la suite.(8) Les paysages marins et les vues de dunes réalisés à cette époque expriment la même aspiration au réalisme. Viérin arpenta toute la côte, comme l'attestent les vues d'Adinkerke, de Coxyde, de Nieuport et d'Oostduinkerke, qui s'ajoutent à celles de Duinbergen et de Knokke-Heist. Il était également attiré par l'arrière-pays à Dixmude et Furnes. Les marines et les vues de dunes sont brossées de façon relativement libre, mais le coloris n'y est jamais exubérant. Peignant ces impressions vespérales et sereines, il avait sûrement à l'esprit la peinture de Louis Artan de Saint-Martin (1837-1890), qui venait de mourir et était alors le principal maître du genre. Contrairement à ce qui s'observe chez Artan et Guillaume Vogels (1836—1896), la force des éléments n'était jamais un objet d'étude en soi chez Viérin. Ses marines étaient le plus souvent animées par quelques bateaux de pêche échoués et la mer y clapotait tranquillement à l'arrière-plan. S’il resta plus ou moins indifférent aux développements modernistes des années 1880, Viérin connut malgré tout un revirement, fût-ce de façon assez inattendue. Il n’abandonna en effet le discours réaliste qu’au moment où un style pictural plus au goût du jour vint agiter la scène artistique belge au début des années 1890: le luminisme.
En 1894, Emmanuel Viérin entama un voyage en Algérie et en Espagne. De la lettre déjà citée de Coosemans, il ressort que celui-ci était au courant de ce périple. Nous manquons certes de matériel d'archives pour prouver que Coosemans était à l'origine du projet, mais il n'est pas exclu que le jeune homme ait été encouragé dès ses années d'académie à entreprendre un tel voyage. Tout comme l'Académie des Beaux-Arts de Bruxelles, où l'inspirateur du mouvement avait été Jean-François Portaels (1818-1895), celle d'Anvers était animée d'un élan vers le Midi et l'Orient depuis les voyages de Jacob Jacobs (1812-1879) et de Charles Verlat (1824-1890). D'anciens étudiants de l'institut, comme Emile Claus, Karel Ooms (1845-1900), et les frères Albrecht (1843-1900) et Juliaan De Vriendt (1842-1935), entreprirent le voyage dans les années 1870 et 1880, et leurs œuvres méditerranéenes attirèrent l'attention dans les Salons officiels et au sein du Cercle artistique et littéraire local. Il faut noter que ces voyages eurent également une grande influence, dans le courant des années 1880, sur la jeune génération moderniste bruxelloise. En compagnie de Frantz Charlet (1862-1928), Théo Van Rysselberghe (1862-1926) séjourna en Espagne et en Afrique du Nord après ses années d'académie; il y retourna plus tard en compagnie de son ami Edmond Picard.(9) La violente lumière du Sud, qui marque les vues réalisées par Viérin à Biskra, Malaga et Cordoue, domine également dans les études de ces artistes. L'Orient fut donc décisif pour quelques protagonistes de l'impressionnisme belge, comme c'est le cas chez Van Rysselberghe mais aussi chez Henri Evenepoel (1872-1899). Ce voyage vers la lumière constituait en même temps une quête des sources, d'une société primitive, et enfin de soi-même. Tout comme le voyage en Italie était indissociable de la formation artistique au xviiè siècle, c'est par un périple autour de la Méditerranée que nombre de peintres du xixè siècle achevaient leur apprentissage.
Vue à Biskra - Algérie 1894
A son retour en Belgique, dans une exposition à laquelle participait aussi son voisin Jules Lagae (1862-1931), Viérin soumit au public quelques-unes de ces études. La presse accueillit favorablement l'initiative: «Quelques impressions d'abord, rapidement brossées, où l'on sent la profonde admiration du jeune artiste pour les pays nouveaux qui lui sont révélés. Des coins de l'antique cité algérienne [...] où la mélancolie arabe s'est installée en maîtresse et semble avoir mis sa griffe sur les habitations, les passants, tandis qu'un lambeau du ciel éternellement bleu, le feuillage d'un palmier violemment vert, mettent une note hardie et crue. Après les souvenirs du désert, les plaines immenses de sable, aux horizons sans fin, avec dans le lointain, l'interminable chaîne de montagnes aux reflets violets.»(10)
Comme on l'a déjà dit, ce «voyage orientaliste» peut être considéré comme le parachèvement des études de Viérin. Quelques mois plus tard, le peintre partit pour la Grande-Bretagne; en 1896, son voyage de noces le conduisit dans le Midi de la France.
C'est à peu près à l'époque du voyage en Méditerranée que s'opère un changement radical dans l'œuvre de Viérin. En un temps relativement bref, il abandonne la couleur locale pour adopter une palette lumineuse et une manière plus libre. Le Cultivateur avec brouette (1893) peut être considéré comme une œuvre de transition (p. 114). Si la composition reste traditionnelle, la touche devient plus nerveuse. En matière de coloris, Viérin emprunte également des voies nouvelles, comme le prouve en particulier une riche différenciation de roses et de verts. De plus, il donne la primauté à la lumière vive de l'été. Ce n'est peut-être pas un hasard si Viérin dédia ce tableau à son ami de jeunesse Pierre-Joseph Laigneil (1870-1950), avec lequel il fit ses premiers pas dans le domaine des arts appliqués. Une même aspiration à la lumière se manifeste dans Chemin de campagne avec vachère (1894, p. 98).
Le chemin de Furnes à Adinkerke - 1898
Cinq ans plus tard, la composition des paysages est entièrement déterminée par l'ombre et la lumière. Dans Le chemin de Furnes à Adinkerke, le riche dégradé de verts dans la rangée d'arbres à gauche, la forte réverbération de la lumière sur la rangée de maisons à droite et le ciel presque dépourvu de nuages renvoient directement au luminisme. Autres traits caractéristiques: le jeu constructif et perspectif des ombres et de la percée à travers les arbres. La paysanne jouant en quelque sorte au modèle et s'avançant droit vers le spectateur est typiquement clausienne. Peut-être son ami Hugo Verriest vit-il ce tableau lorsqu'il visita l'exposition personnelle de Viérin qui se tint dans les halles de Courtrai en 1899. «Voyez donc cette "grande chaussée de la Panne". Tout n'y est qu'atmosphère et soleil; tout s'embrase dans la fournaise de l'été. Et en même temps l'air chaud s'évapore, s'exhale de façon silencieuse et charmante, non seulement des feux éclatants du soleil mais de l'ombre, oui, des ombres, des arbres, de l'épaisseur des arbres, des creux du feuillage, de ce petit coin charmant et agréable.»(11) Dans le même article, Verriest explique le malaise du public courtraisien: «Nous avons dans les yeux trois siècles de peinture sombre et noire. Nos yeux y sont tout à fait habitués. Un paysage peut être brun foncé avec des feuillages brun vert, ou tout à fait brun foncé; cela nous convient; cela ne heurte pas notre regard. Nous sommes semblables à celui qui émerge de l'ombre, après une longue période d'obscurité. Il ne peut supporter la lumière vive, la pleine lumière du soleil. Tout l'éblouit et sa vue se trouble.»(12)
Place de Nieuport - 1899
La réaction de La Fédération artistique à l'occasion d'une exposition collective à Ostende montre également que Viérin avait trouvé sa voie en 1895 : «Emmanuel Viérin marche de l'avant à grands pas et deviendra un de nos meilleurs paysagistes.»(13) Ce changement de cap ressort également des vues du village de Nieuport exécutées vers 1900, dans lesquelles l'artiste développe l'harmonie des roses et accentue le contraste dans les façades jaune ocre et vert pâle de la place du village (p. 2 et p. 36). Viérin durcit notablement le coloris dans les parties inondées de soleil, mais il réussit en revanche à rendre les ombres dans des teintes violet pâle.
Cependant, le luminisme de Claus n'était pas la seule source d'inspiration de Viérin. Ce dernier était également interpellé par l'art sombre et réfléchi d'Albert Baertsoen. Dans L'église de Vichte ainsi que dans une vue du hameau de Beverlaai à Courtrai (1895), on retrouve le coloris plus assourdi et la touche plus onctueuse et synthétique du Gantois (p. 120). Ces analogies n'échappèrent pas à la critique contemporaine. Dans la revue d'avant-garde L'Art moderne, Octave Maus relevait, à propos de Vue vespérale que le peintre exposait au Salon de Gand en 1902, «une belle harmonie cuivrée», ajoutant: «mais [cette harmonie] n'échappe pas, semble-t-il, à l'influence d'Albert Baertsoen».(14) Pour le peintre luministe Rodolphe de Saegher (1871-1941) qui, avec l'aquafortiste et aquarelliste gantois Armand Heins (1856-1938), édita pendant quatre ans la Petite Revue de l'art et de l'archéologie en Flandre, prenant à son compte les articles de critique artistique, la parenté était vraiment trop grande: «Il y a là un danger que l'artiste devrait éviter.»(15) Mais alors que Baertsoen représentait la vieille ville dans son humilité, Viérin conservait - en tous cas avant 1914 - des tons plus chauds et avait recours à une facture plus variée.
C'est avec précaution que Viérin s'engagea dans la voie du renouvellement. S'il était surtout porté vers le nouvel art dans le domaine du paysage, il ne restait pas sourd aux souhaits de son public. C'est ainsi qu'il allait encore accepter, en 1895, une commande de cinq panneaux muraux décoratifs, œuvres monumentales où la région de Courtrai occuperait une place centrale, avec entre autres thèmes les tours du Broel et le pont dit Drieduikersbrug (p. 122). Peu importait pour lui qu'il fasse momentanément un pas en arrière en combinant la lumière luministe avec une observation réaliste traditionnelle. Il réalisa d'ailleurs la même année une vue monumentale comparable, représentant cette fois le Lac d'Amour à Bruges (p. 123). Ce qui importe par contre, c'est que la réalisation de ces panneaux représente ses premiers pas en tant que peintre de la ville. Vers la fin des années 1890, le thème de la ville devint plus présent dans son iconographie.
Vers 1900, Viérin était généralement considéré comme un représentant important du luminisme. Dans Paysage ensoleillé à La Panne par exemple, œuvre qui figurait probablement dans son exposition personnelle de 1901 à Tournai, il apparaît clairement qu'il était sensible à la manière des luministes flamands (p. 128). La composition est en effet régie par une division du tableau en une zone vivement éclairée et une zone d'ombre. Dans les parties ensoleillées, la lumière l'emporte même sur la couleur. La zone d'ombre, délimitée par les contours capricieux de la rangée d'arbres à gauche, est une fois de plus dominée par les verts et les violets saturés, lesquels jouent un rôle important dans la composition.
Le moulin à eau de Heule - 1910
La gaieté des couleurs estivales continua à déterminer la palette de Viérin dans les premières années du xxè siècle. Des tableaux comme La digue du comte Jean à Knokke-Heist de 1909 (p. 136) ou Moulin à Dixmude (p. 145) montrent qu'il pouvait aussi pratiquer ce luminisme-là en recourant à une technique plus schématique, la lumière vive de l'été allant de pair avec une écriture plus nerveuse.
La ville continuait par ailleurs à inspirer l'artiste. Dans Le moulin à eau de Heule, qui fut acquis par le Koninklijk Museum voor Schone Kunsten d'Anvers à l'exposition triennale de 1911, Viérin traite un autre thème qui l'inspira particulièrement tout au long de sa carrière. Dans les vues du moulin à eau et du pont de ce petit village, Viérin pouvait donner libre cours à son goût pour les reflets des bâtiments dans l'eau. Outre le caractère incontestablement pittoresque des lieux, il exprimait l'aspect désert du village dans des œuvres animées seulement par les ondes à la surface de l'eau. 11 peignit des dizaines de fois ce moulin à eau de Heule, un hameau de Courtrai, à partir de différents angles de vue.
Vue de Harelbeke - 1906
Autant que la ville, la vie villageoise intriguait l'artiste. Dans la Vue de Harelbeke (1906), la composition est déterminée par l'ombre et la lumière. La haie à droite dessine des ombres capricieuses, tandis que les maisons à gauche apparaissent en plein soleil. Dans ces vues de villes et de villages, le poète et critique d'art Karel van de Woestijne voyait l'œuvre d'un «très beau peintre [...] d'une vaste envergure et atteignant une vision épique».(16) Le Museo d'Arte Moderna à Udine acheta la Vue de Harelbeke à la Biennale de Venise.
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